Identification de la Préférence Manuelle chez les Homininés à p artir des traces d’utilisation sur leurs outils en pierre (PreMHo)

Mission
Europe
Appel à projets 2016

Porteur du projet :         Antony BOREL – UMR 7194 – 

Co-porteur du projet :    UMR 7179 – Emmanuelle POUYDEBAT

Période & durée du projet : 2017- 3 mois

 

Présentation du projet :

La préférence manuelle découle de la latéralisation des hémisphères cérébraux et est liée à des zones du cerveau similaires à celles impliquées dans le contrôle d’autres fonctions essentielles telles que le langage (e.g. Corballis, 2003 ; Willems et Hagoort, 2007 ; voir aussi Stout et al., 2000). Ainsi, outre le fait de décrire l’évolution de la latéralité chez l’humain, identifier la préférence manuelle chez les hominidés fossiles peut permettre d’améliorer notre compréhension de l’émergence et du développement de facultés cognitives complexes au cours de l’évolution (e.g. Steele et Uomini, 2009 ; Stout et al., 2008).
Aujourd’hui, plus de 80% des humains utilisent préférentiellement leur main droite (Annett, 1985 ; Porac et Coren, 1981). Une telle tendance n’existe chez aucun autre primate (Fitch et Braccini, 2013). Le contrôle des actions manuelles fines (dites «complexes») est attribué à l’hémisphère gauche ce qui expliquerait l’utilisation préférentielle de la main droite pour ce type d’action. Certains auteurs ont ainsi émis l’hypothèse d’un développement d’une forte préférence manuelle en lien avec la fabrication et la complexification des outils (Corballis, 1987 ; Uomini, 2009 ; Uomini et Gowlett, 2013). D’autres travaux montrent un effet plus important de la nature et des exigences de la tâche ainsi que du type d’objet impliqué et de la vitesse de l’action menée (Forrester et al., 2011 ; 2012 ; 2013 ; Pouydebat et al., 2014 ; Quaresmini et al., 2014 ; Rogers, 2009). La complexité de la tâche n’est donc probablement pas le seul critère expliquant
l’émergence d’une forte préférence manuelle.
Afin d’identifier les potentiels facteurs entrant en jeu dans l’émergence de la préférence manuelle chez l’humain, il est indispensable de collecter des informations concrètes concernant les humanités fossiles. Les outils en pierre, souvent les vestiges les plus abondants dans les sites paléolithiques, n’ont quasiment été étudiés en rapport avec la préférence manuelle que du point de vue de leur fabrication (position du cortex et des bords reliques : Bradley et Sampson, 1986 ; techniques de ravivage : Cornford, 1986 ; organisation spatial des restes de débitage : Johansen, 1996 ; séquence de débitage et façonnage : Leroyer, 2005 ; 2006 ; Newcomer et Sieveking, 1980 ; obliquité du cône de percussion : Rugg et Mullane, 2001 ; position du cortex dorsal : Toth, 1985 ; Wenban-Smith, 1997 ; White, 1998) par des méthodes menant à des interprétations souvent contradictoires (46% d’erreurs) (e.g. Bargalló and Mosquera, 2014 ; Ludwig et Harris, 1994 ; Noble et Davidson, 1996 ; Patterson et Sollberger, 1986 ; Pobiner, 1999 ; Uomini, 2001 ; 2005). Peu d’études se sont intéressées aux traces formées lors des mouvements répétés d’utilisation des outils qui sont pourtant susceptibles de fournir des informations fiables concernant la préférence manuelle du genre Homo. De plus, à notre connaissance, ces travaux (Brinton, 1896 ; Cahen and Keeley, 1980 ; Cahen et al., 1979 ; D’Errico, 1988 ; 1992 ; Frame, 1986 ; Keeley, 1977 ; Semenov, 1964 ; Spenneman, 1984 ; Weber, 1990) ne mentionnent que brièvement cette question et aucun ne s’appuie sur une base expérimentale statistiquement représentative ayant permis au préalable l’identification de critères spécifiques à l’utilisation de l’outil dans la main droite ou gauche. Il est pourtant essentiel de constituer une base de données expérimentale de référence des traces (i.e. fractures, stries, polis) liées à la préférence manuelle avant d’interpréter les outils archéologiques.

Les objectifs de ce projet sont donc
1) de constituer une base de données expérimentale de référence afin de savoir si des traces particulières et directement liées à
la préférence manuelle peuvent être identifiées sur les outils en pierre après utilisation et

2) de quantifier et caractériser la variabilité de ces traces au sein de population de droitiers, de gauchers et d’ambidextres. C’est uniquement au travers d’un tel projet qu’il sera possible de

3) vérifier si nous pouvons, ou non, inférer la préférence manuelle à partir des outils archéologiques. Si cela s’avère possible, ce sont des données inédites et fondamentales pour la compréhension de l’évolution de la préhension, de la latéralité et des processus cognitifs associés qui pourront être fournies.
 


Résultats attendus

La réalisation de ce projet permettra soit d’avoir une base de référence objective et représentative du lien potentiel entre traces d’utilisation et préférence manuelle, soit d’être capable de dire avec des arguments rigoureux qu’il n’est pas envisageable de déterminer la préférence manuelle à partir des outils préhistoriques.
Dans le cas de résultats positifs, une série de tests en aveugle sera mise en place. Il s’agira d’appliquer les critères d’identification de la latéralité issus de ce projet sur une nouvelle série expérimentale (en verre et en pierre, silex et quartz notamment) et d’évaluer le taux d’interprétations correctes. Si ce test montre que les critères sont robustes, une application sur du matériel archéologique néandertalien de deux sites d’âges différents (site de Payre, France, 250 ka ; site de l’Abric Romani, Espagne, 70-40 ka) est prévue et permettra de confronter les résultats aux autres témoignages de la préférence manuelle connus chez cette espèce. Cette base de référence pourrait aussi être appliquée sur d’autres sites préhistoriques afin d’identifier des tendances fiables dans les populations d’homininés fossiles. De plus, la base pourra être complétée par des expérimentations impliquant d’autres types de préhension, d’autres types d’outils et d’autres types d’activités afin d’être en mesure de généraliser l’application de la méthode, ou, au contraire, de préciser ses limites.
Dans le cas de résultats négatifs, nous aurions enfin les moyens de justifier l’impossibilité de déterminer la préférence manuelle à partir des traces d’utilisation sur les outils préhistoriques. Comme dans le cas de résultat positif, il s’agirait alors de reproduire l’expérimentation avec d’autres variables afin de confirmer ou d’infirmer une possible généralisation des résultats.